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EXTRAITS : REFLEXIONS.

 

 

habitudes.

De fait, ce ne sont pas les grands événements, même si nous n’osons trop l’avouer, qui donnent à nos existences cette saveur particulière qui nous les fait reconnaître d’instinct comme nôtres. Examens, mariages, accidents et décès, grands bonheurs et noires catastrophes que nous tenons pour essentiels et imaginons constitutifs de nous-mêmes ne sont en réalité, le plus souvent, qu’accidents exceptionnels et impromptus venus troubler le cours paisible et familier de nos vies. Certes, souvent ils bousculent, triturent et remodèlent, mais aucun ne donne durablement et directement à nos jours cette couleur intime, sceau indélébile qui en fait tout le prix. Nos racines boivent plus volontiers à la banalité des habitudes journalières, au goût d'un tabac, à la disposition d'un fauteuil, à l'odeur d'une pièce, à l'éclairage d'une lucarne, à la rudesse d'un pavé, aux bruits familiers d'un immeuble, au fatras hétéroclite et insignifiant de tous les impondérables où s'exprime, se développe et s'entretient la personnalité. Pour moi le café est l’élément anodin et essentiel dont j’ai de tout temps coloré l’existence et, en ces lieux, un semblant de café permet une remontée vers l’amont, un saut au-delà des murs de la caserne, une réelle quoique bien passagère évasion. "

 

 

Jai trottiné ma vie comme au jeu des petits chevaux. Chaque lancer de dés est déterminant, rattrapable quelquefois, réversible, jamais, si bien qu’au milieu de la partie on ne sait plus trop ce que fut le début dont pourtant tout découle. Je suis bien payé pour le savoir, il n’est qu’à voir le panier que je ramène du marché à la volaille.
Un jour, sans que vous n’y attachiez la moindre importance, vous posez ou quelqu’un pose pour vous, une décision, un geste, une attitude. C’est fait, vous n’y pensez plus, pour vous tout est fini. En réalité tout commence. Vous croyez la chose inerte et contrôlée, elle vous échappe. Elle a pris ses quartiers en vous et y mène sa propre vie, à votre insu. Elle a ce qu’il faut en elle de force, d’intérêts et de nourriture. Elle est devenue une habitude, pire, des habitudes car elle a su se créer des semblables. Moins vous lui prêtez attention et plus elle forcit. Elle a pris les commandes, si discrètement que vous ne saurez plus qui elle est, d’où elle vient, ni même si elle est là. Un geste par nature évanescent peut devenir constitutif de vous-même !

 

 

Mémoire.

 

Le flâneur nostalgique venu renifler les vieux parfums du pays vient de passer la « barre des iroises ». Je ne me laisse plus balloter. Je mène ma barque. L’encre des manuels de philo n’est pas encore tout à fait sèche et je me crois l’artisan de ma vie intérieure. Curieuse boîte de pandore que celle aux souvenirs où s’entassent, sommeillent, se nourrissent, dépérissent ou renaissent, au gré des circonstances, les lambeaux du présent que cette matrice instantanée du temps fugace recueille, entasse, sèche, digère, étouffe ou reconstruit à son gré sous le sol de notre jardin intérieur. Le présent s’y engloutit dès qu’il pose pieds et sans elle disparaîtrait du seul fait d’avoir été. Le passé n’existe plus qu’en elle sous la forme d’un jeu de lego où nous venons parfois puiser pour agencer à notre guise. L’avenir n’existe jamais qui fuit sous nos pas et que le présent dévore. Je retrouve le passé dans la boîte de pandore où l’imagination le construit virtuellement avec les cubes et bâtonnets qu’elle y puise à tâtons. Sans nos boîtes de pandore immatérielles et sans la synergie de toutes les boîtes de pandore, actuelles ou passées, le temps n’aurait pas plus de consistance qu’un point géométrique virtuel. Grâce à ces boîtes et à leurs interférences nous sommes, pour le moins, co-créateurs du temps et que serait pour nous l’espace sans le temps, sinon la mort individuelle ?

 

 

" Mémoire et distance m’obsèdent en ce moment, je me jette dans leur bras pour y réfléchir, je sais, la spéculation a toujours été ma manière de fuir l’obstacle réel, mais je suis si las. N’est-ce pas la mémoire qui a conduit Aristote à penser l’être humain en termes de dichotomie, histoire de relativiser les barrières du temps et de l’espace dont le corps, au contraire de l’esprit, est prisonnier ? N’a-t-elle pas conduit Platon à prêter l’immortalité aux âmes et à rêver de métempsychose, façons subtiles de remettre à leur place transitoire et le temps et l’espace ? Que serait le temps sans l’espace qui le déploie, où serait l’espace sans le temps qui le parcourt et que serait d’autre la vie qu’un point d’interception fugitif et insaisissable entre l’espace et le temps n’était la mémoire qui transcende et relie dans la durée nos rencontres successives et évanescentes ? Et moi qui croyais secouer ainsi tous ces liens qui me relient aux amis lointains ! "

 

 

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