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QUELQUES  EXTRAITS.

 

 

 

L'EGLISE.

Qui veut faire l'ange fait la bête.

«  … Son bureau ressemble au mien, sobre, fonctionnel, les murs lisses mais muets. Une seule décoration ici, l’affiche qu’il me montre, l’Abbaye du Thoronet, magnifique plongée sur les toits et les  bâtiments austères, trapus et lisses, serrés autour d’un cloître en large sourire. Une aubaine, je m’évade aussitôt par l’escalier des blocs luminescents, bleus, ocres, bruns et verts mordorés qui montent en décalé vers le ciel avec au pied les flèches effilées de deux ifs frémissants d’émeraude et au sommet un clocher blanc bleuté, ferme et modeste qui mord discrètement l’azur serein.

Son commentaire, je le chasse comme je ferais d’une volée de moucherons à l’heure de la sieste. Je vogue sur l’abbaye, l’abbaye est cistercienne, Cîteaux c’est Saint-Bernard. J’y retrouve le but de ma visite. Justement, sur le dossier d’une chaise, juste sous l’affiche, la tunique d’uniforme avec des nervures à feuilles de chêne dorées sur le noir des épaulettes. Quelle prétention ces aumôniers, des épaulettes en képi de « Maréchal » ...   bien à leur place sous l’affiche, on les dirait tombées des lèvres de Bernard de Citeaux. J’en reviens à ce que je n’ai jamais digéré et qui me donne des nausées, l’effrayant et orgueilleux principe  des deux glaives : « Le pape a deux glaives, écrit Saint Bernard,  le spirituel et le temporel, l’un dans ses mains, l’autre à ses ordres ».

Sur l’affiche, à l’angle d’une arcature du cloître, une silhouette encapuchonnée en demi-position de fœtus, un homme blanc en prière, l’un de ceux qui voulaient la pureté pour leur ordre devenu trop puissant et de mœurs trop communes. Pour cela ils bridaient la chair afin de mieux exalter l’esprit et contraignaient la matière pour que l’âme l’emporte sur le corps. Sans s’en étonner, ces hommes ont cueilli au bord du chemin de l’histoire des fleurs incomparables et, dans le même temps des brassées d’épines dégoulinantes de sang. Tel est l’héritage paradoxal de Cîteaux. Chez les mêmes hommes, Le Thoronet, Fontfroide et les croisades, la violence physique et la spiritualisation de la matière par la sobriété absolue. Le premier d’entre eux, Bernard, l’assoiffé de Dieu, a laissé  des sermons remarquables  et des lettres mystiques d’un rare raffinement, le tendre et confiant « Salve Régina » et de véritables mines qui annoncent la sinistre « Inquisition ». « Jésus-Christ reçoit avec plaisir la mort de son ennemi, juste vengeance », prêche-il pour appeler aux armes et encore « la mort du païen glorifie le Christ et stoppe la propagation de l’erreur. »

Je ne comprends pas, même replacé dans le contexte historique, qu’un tel sol ait pu produire d’aussi contradictoires fruits, il est vrai que l’intégrisme aime faire son nid à l’ombre des grands idéalismes. A tant chercher la pureté, l’ordre a basculé. Il y a si peu de la bête à l’ange, de la boue à l’éther, de la chair à l’esprit. En fait rien n’est plus terrifiant que la quête de l’absolu lorsqu’elle prend corps et se systématise. Qu’en diraient de nos jours, s’ils y réfléchissaient tant soit peu, ceux qui, faisant l’impasse des sept siècles de décalage chronologique entre les  deux religions, se scandalisent facilement d’une violence qu’ils croient propre au Coran ? Stylites, anachorètes, solitude et désert, jeûnes et macérations, les chrétiens n’ont-ils pas dès l’origine trop vite sauté sur la dichotomie platonicienne en laissant au bord du chemin les nécessaires garde-fous si chers aux grecs, l’amour de la mesure et l’horreur de l’excès ? … »

Au bout d’une heure je n’ai pu aborder mon sujet qu’en en esprit, j’ai dû subir un discours à ce point récurrent que je pouvais à tout instant jouer la doublure de mon interlocuteur, mais par-dessus tout j’ai été plongé dans mes problèmes. Je ne voulais pas l’admettre, je m’en suis convaincu, entre la soif spirituelle et l’attirance charnelle, l’itinéraire chrétien est un chemin de crête. Les deux versants sont aussi dangereux l’un que l’autre, même celui sur lequel la nature m’a placé. Il n’y a pas d’autre voie que ce fil du rasoir qui les réunit et les sépare.

Cloître de l'Abbaye de Moissac. R.C. Huile sur toile 54x81. - 2005-

Bûchers.

…  « Elle en a l’habitude ma pipe, je tire dessus comme un automate, c’est une habitude et tellement commode pour meubler un côte-à-côte pesant et muet. L’esprit doit être moins immatériel qu’on n’a voulu me le faire croire, voilà que soudain, j’en suis le premier surpris, la chaleur d’une pipe sur la peau, l’odeur cramée du tabac dont les brins grossiers se tordent sur le foyer, l’âcre senteur des peintures humides me transportent au pied d’un bûcher. Je suis à Monségur,  il y a si peu pour l’esprit de La Rochelle à l’albigeois, des protestants aux cathares et des dragonnades aux croisés ! Je pense au pape Innocent III, instigateur de l’Inquisition comme de la sanglante spoliation du midi par les reîtres avides du Nord grimés en croisés de la foi et au roi Louis IX, je n’ai jamais admis que l’on puisse faire un saint du pionnier de « l’étoile jaune », au boucher de Béziers, Amaury de Montfort, figures hautement répulsives pour ceux des terres cathares. L’inconscient populaire les garde en mémoire dans l’occitan de tous les jours. L’« amôri »

 

 

 

 

 

 

« …  A peine sortie des persécutions,  « mon » Eglise a pris les armes, directement ou par bras séculier interposé, contre schismes et hérésies. Sa doctrine s’est forgée au feu, au soufflet et au marteau ! Que sont les schismatiques et les hérétiques sinon ceux que les armes ont vaincus ? Dans l’antiquité, moindre mal, elle défendait des fondamentaux idéologiques, Dieu, la Trinité, le Christ, les sacrements. Au Moyen-âge elle se bat pour son pouvoir, ses richesses excessives, le commerce du spirituel et les mœurs dépravées de ses hauts dignitaires devenus des Seigneurs. La doctrine n’est que prétexte pour les papes, Ils la mettent au service de leur puissance et de leur confort : bras de fer avec les princes, bagarres entre papes simultanés, et, de siècle en siècle, répressions sanglantes contre tous ceux qui tenteront d’imposer le retour à la pauvreté évangélique et le primat du spirituel, les Valdès, les cathares, les béguins et les spirituels, les Savonarole, les Hus et tous les réformateurs de la Renaissance. Sur un terreau ascétique et quasi-angélique, la soif du pouvoir et des biens de ce monde ont poussé à la vitesse de l’ivraie qui simule le blé et l’étouffe. Les hérétiques sont toujours du côté de l’Evangile… »désigne la brute épaisse, l’abruti parfait, « l’inouceint » est le faible d’esprit, le semi débile… »

 

 

 

Pouvoir.

Savonarolle . sculpruture sur bois. 24 cm

Abbaye de Mursa. R.C. 73x50  -1997-

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